3 mai 2007

Questionnaire littéraire



«Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.»

Álvaro de Campos, alias Fernando Pessoa - Extrait de Bureau de Tabac

Auntie Joe et Maloud m'ont conviée à répondre à ce questionnaire depuis déjà un petit moment... Si j'ai mis aussi longtemps à m'exécuter, c'est parce que pour une lectrice forcenée comme moi, il paraît difficile, voir impossible, de choisir une douzaine d'auteurs - et encore moins de livres - parmi tout ceux que j'ai lus au long de ma vie, d'autant que j'ai longtemps été critique littéraire et que les livres les plus hétéroclites me sont passés entre les mains... Je porte un amour immodéré à la littérature. Toutes les littératures ou presque. Je suis sûre que je vais terriblement m'en vouloir de citer untel plutôt qu'un autre, etc... Je me lance tout de même!


Les 4 livres de mon enfance

Contes, Hans Christian Andersen
J'avais un superbe livre relié et magnifiquement illustré des Contes d'Andersen que l'on m'avait offert pour un Noël. Ce livre me faisait rêver de par son romantisme sombre... Avec le recul, les Contes d'Andersen dans leur version non expurgée ne sont pas à mettre entre les mains des enfants trop sensibles. Je me rappelle de contes particulièrement noirs, comme les Cygnes sauvages ou le Rossignol et l'Empereur, hantés par la mort, peuplés de sorcières qui profanaient des cimetières... C'était l'anti-Grimm, quoi! Ma manie de posséder mes livres favoris en plusieurs éditions a commencé là: j'avais aussi les Contes d'Andersen en version poche pour pouvoir les emmener partout: classes de neige, vacances...

Mon bel oranger, José Mauro de Vasconcelos
Ma mère m'avait acheté ce livre de la collection Le Livre de Poche Jeunesse sur les conseils d'une libraire alors que j'étais clouée au lit par je ne sais quelle maladie infantile. J'ai dévoré passionnément l'histoire de ce petit garçon brésilien pauvre dont le seul ami et confident était un pied d'oranger...

La Mare au diable, George Sand
Qu'elle était jolie et pudique, cette histoire d'amour paysanne...! Je les revois encore tous les deux assis au bord de l'étang, la nuit...

La Gloire de mon père, Marcel Pagnol
La Provence de Marcel Pagnol m'évoquait les vacances au Portugal. La pinède, les senteurs de thym... J'ai passionnément aimé suivre les aventures marseillaises du petit Marcel et de sa famille. J'ai dévoré dans la foulée Le Château de ma mère et Le Temps des secrets.

Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore

Fernando Pessoa
Le plus génial des écrivains portugais et probablement le plus grand écrivain de tous les temps d'après les spécialistes. Multiple, il a écrit sous une foule d'hétéronymes (les plus célèbres étant Álvaro de Campos, Bernardo Soares, Alberto Caeiro... tous écrivant avec des styles et des personnalités radicalement différents). À ce jour, seule une infime partie de son oeuvre est éditée, le reste des manuscrits se trouvant dans une malle précieusement gardée à la BN de Lisbonne. C'est dans la poésie d'Álvaro de Campos que je me perds et me retrouve. Je ne peux pas lire le très long poème Bureau de Tabac sans avoir les larmes aux yeux et la sensation de me prendre un coup de poing dans le ventre. À ce jour, c'est le plus beau texte qu'il m'ait été donné de lire. J'aime aussi d'amour les Grandes Odes et Opium, toujours de l'hétéronyme Álvaro de Campos...

Yasunari Kawabata
La plume de cet écrivain japonais magnifique qui s'est suicidé peu de temps après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature me transporte littéralement. Personne mieux que Kawabata ne décrit le rythme des saisons, les infimes changements de la nature, la complexité des sentiments humains, l'étangeté de nos rapports. L'oeuvre de Kawabata est d'une sublime beauté triste, déchirante, même. Je pourrais relire 10, 100, 1000 fois la Danseuse d'Izu, les belles Endormies, Tristesse et beauté...

António Lobo Antunes
Cet immense écrivain portugais, mondialement reconnu - et souvent cité pour le Nobel de Littérature, a quelque chose d'un Kawabata européen... Inlassablement, au fil d'une oeuvre aux accents symphoniques, il dissèque l'être humain, ses faiblesses, ses noirceurs, ses beautés aussi, en se servant de ses propres expériences de vie, qui reviennent, obsessionnelles: le service militaire en Angola pendant la guerre coloniale, son travail comme chef du plus grand hôpital psychiatrique portugais, sa vie personnelle lacérée, ses psychoses... Une oeuvre d'une intensité rare, poignante, qui nous remue jusqu'au plus profond de nous-mêmes.

Mia Couto
Mozambicain, Mia Couto est probablement l'un des plus grands écrivains africains actuels. Sa façon de reécrire la langue portugaise est sublime et ses histoires sont extraordinaires, flottant toujours entre rêve et réalité, magie et réalisme. Mia Couto porte un regard sans pitié sur son pays et le monde qui l'entoure, mais les mots qu'il emploie sont comme un baume... Mon livre favori est Contos do Nascer da Terra, qui, me semble-t-il, n'est pas traduit. Mais il existe de nombreux titres de cet auteur en français, comme la Véranda au Frangipanier. Bien sûr, on y perd un peu à la traduction, bien que celle de ce dernier titre soit exceptionnellement soignée...

Les 4 auteurs que je n'achèterai ou n'emprunterai plus

Paulo Coelho
Je me suis toujours demandée comment ce pseudo-écrivain brésilien - heureusement que le grand Jorge Amado n'est plus de ce monde pour voir ça - pouvait avoir un tel succès. Écriture médiocre (y compris et surtout en VO portugaise), idées prédigérées, spiritualité de bazar... Poubelle!

Dan Brown
Comment a-t-on pu faire un foin pareil autour d'un roman à suspens aussi médiocre...? Je n'ai pas fini le livre. Pas pu. Il y a trop de bonnes choses à lire pour perdre son temps. Et je me suis endormie devant le film. C'est de la m....!

Michel Houellebecq
Phénomène de mode. La première fois, on est surpris. La deuxième, on s'ennuie... Ciao!

Günter Grass
Rien à faire. Nobel ou pas, j'accroche pas...

Les 4 livres que j'emporterai sur une île déserte

Le Livre de l'Intranquilité, de Bernardo Soares, alias Fernando Pessoa
Parce que sur une île déserte, pour ne pas devenir fou, il faut alimenter son esprit avec quelque chose de profond et de consistant. Un livre auquel on continue de penser une fois refermé, où l'on revient sur certains passages, même...

Les Lusiades, de Luís de Camões
Quel bonheur ce doit être de se délecter de la plus grande épopée lyrique européenne de la Renaissance sur une île, en guettant l'arrivée des caravelles portugaises à l'horizon, avec, qui sait, Camões lui-même à bord, en escale avant de rallier Macao! L'un des plus grands textes jamais écrits en portugais. En plus, il n'a pas pris une ride. Aujourd'hui encore, quel plaisir de le lire!

Tous les ouvrages de la Collection Magellane, Editions Michel Chandeigne
La plus grande collection jamais consacrée aux récits de voyages anciens. Ça peut être très utile de savoir comment mes prédécesseurs du XVIIe s. ont survécu avant moi sur une île déserte. Et certains ouvrages sont incroyablement drôles: on y trouve même des recettes de cuisine cannibales...!

Une anthologie de poésie portugaise
Parce que je ne me lasserai pas de lire et relire encore les beaux vers de Mário Cesariny de Vasconcelos, Eugénio de Andrade, Alexandre O'Neill, Vitorino Nemésio, Mário de Sá Carneiro, Sophia de Mello Breyner, Nuno Júdice... Face à la mer, le bonheur!

Les 4 derniers mots (vers, pour moi) de mon livre préféré

«(Le patron du Bureau de Tabac est arrivé sur le seuil.)
Comme mû par un instinct sublime, Estève s'est retourné et il m'a vu.
Il m'a salué de la main, je lui ai crié: "Salut, Estève!", et l'univers
s'est reconstruit pour moi sans idéal ni espérance, et le patron du Bureau de Tabac a souri.»

Bureau de Tabac, Álvaro de Campos, Alias Fernando Pessoa

Les 4 (+4) premiers livres de ma liste de livres à (re)lire

À lire

Les Intermittences de la mort, José Saramago
Hier, je ne t'ai pas vu à Babylone, António Lobo Antunes
Et puis, Natsume Sôseki
Le Dieu des petits riens, Arundathi Roy

À relire

Les Nouvelles Orientales, Marguerite Yourcenar
Le Corbeau et autres poèmes, Edgar Poe
Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire
La Conjuration des Imbéciles, John Kennedy O'Toole

J'aimerais à présent découvrir les goûts littéraires de Karen (Kafka na Praia), Véro (Cuisine Métisse), Louise (Gato Azul | Chat Bleu) et Emilie (Le Blog d'une jeune maman)

16 commentaires:

  1. J'ai eu un grand plaisir à te lire. Merci

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  2. Je l'attendais avec impatience celui-ci. Bien sur que c'est impossible, bien sur qu'on en laisse toujours de cote. Mais que ces choix sont penses et argumentes. J'aimerais avoir tous les livres cites par chacun d'entre nous a ma disposition et pouvoir les lire dans leur langue.
    J'ai adore les Kawabata aussi, je les ai tous lus. Poe aussi, je l'avais oublie dans ma collec.
    Le Arundhati Roy, The God of Small Things est excellent, un des meilleurs que j'ai lus ces dernieres annees. Tu veux que je te le prete?

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  3. Tous les livres cités - y compris ceux de la liste à lire - sont déjà dans ma bibliothèque, Gracianne. Mais merci pour ta gentille proposition. :-)

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  4. Temos mesmo que nos encontrar em grand comité. Com o que me atura leva com o Álvaro de Campos e com a de Coimbra vai o Kawabata.
    Uma pergunta. O Dan Brown é um escritor? O Gräss é. Só que eu não o consigo ler.
    Obrigada pela rapidez da resposta, em questionário insuportável. É como escolher um filho entre vários.

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  5. Elvira, tu écris si bien que je n'avais aucun doute quant à ta boulimie de lecture...
    Tous ceux que tu mets à la poubelle sont aussi dans la mienne; je cherche désespérément une jolie version des contes d'Andersen avec une traduction française pas trop pourrie, je crois qu'il est à la Pléïade mais peut-être auras-tu une autre suggestion...
    Quant à Kawabata... tu me donnes envie de le relire!

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  6. Mon bel oranger! Je l'avais oublié, alors que je l'ai lu et relu quand j'étais petite.
    Je n'ai jamais lu de livres de Kawabata, je sens que ma whishlist va encore s'enrichir!

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  7. Chère Patoumi, j'ai lu tes réponses en me disant que nous avions beaucoup en commun. Le Andersen de la Pléiade, je rêve de me l'offrir! ;-)

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  8. Comment te dire que je ne suis pas étonnée de tes réponses... je retrouve bien des points communs dans tes choix et ton appétit pour la lecture ne m'étonne pas le moins du monde.

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  9. oh rien que les livres de ton enfance... j'aurais pu les citer un à un, mon Bel oranger, une merveille, Gorges Sand, idem sur les livres que je ne relirai plus! je découvre avec un immense plaisir ta boulimie de lecture!

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  10. J'avoue: je ne connais que ceux de ton enfance, et ceux que tu mets à la poubelle!!
    Alors, c'est qui, l'andouille?
    Question de parcours, je pense, je ne crois pas avoir jamais croisé la route d'un auteur portugais... Mais heureusement, tu en parles si bien, tu me donnes envie de combler mes lacunes!! :-)
    Coelho, je l'ai lu en français quand j'avais 19 ans, je trouvais ça... (soupir)... ranlala, trop beau, tu vois??? ;-)

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  11. Ben ! Je ne connais qu'Andersen, Pessoa, Kawabata, Houellebecq (désolé, sincèrement), Yourcenar, Poe et Baudelaire (tu parles). Grave carence lusitanienne. J'extirpe, à l'instant, un vieux livre neuf de ma bibliothèque : "Pérégrination" de Fernão Mendes Pinto, je vais, peut-être me rattraper.

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  12. Ahh voici un questionnaire qui est agréable à lire !
    Bravo pour tes choix ... mais tu triches avec les 4 livres pour un ile déserte ... toute une collection ... cela bien plus de quatre !!!!

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  13. ah! je suis contente que tu ais répondu! je découvre les auteurs portugais et j'ai bien envie de faire un tour en librairie pour les trouver!
    merci elvira!

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  14. j'ai vraiment découvert le Portugal avec Pessoa, personne ne m'a fait voyager comme lui!

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  15. Je me doutais bien que j'allais apprendre ici que le plus grand auteur de tous les temps est portugais! Trève de plaisanterie, quelles réponses impressionnantes d'éclectisme, tu m'a donné envie d'aller à la rencontre de certains auteurs que je n'ai pas encore lus, parce qu'il y a une belle similitude de goût avec ceux que je connais, en bien ou en mal.

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  16. Et oui, Patrick! Pour le coup, ce n'est pas moi qui l'affirme, mais des spécialistes internationaux en littérature! ;-)

    Au Portugal, nous n'avons pas que des maçons et des femmes de ménage: nous avons aussi de grands écrivains...! D'ailleurs, savais-tu que Ronsard avait pompé les Lusiades...? Ça s'appelait les Franciades, mais ça a fait un flop, à l'époque.

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