22 septembre 2005

Les joies des vendanges


(Crépuscule, Curran)

Petite chronique ribatejane...

Lorsque je vivais à Paris, j'avais une vision très idéalisée et littéraire des vendanges. Pourtant, j'aurais dû être un peu plus informée sur la question, compte-tenu du fait que mes deux grands-pères étaient viticulteurs. J'avais une excuse, néanmoins: je ne passais que les vacances d'été, au Portugal. Jamais septembre. Et donc, je ne m'étais jamais vraiment posée la question de savoir comment le précieux liquide, enfermé dans des gros tonneaux en chêne ou dans des bouteilles, que je voyais dans la dépendance la plus fraîche et obscure de la maison que j'habite actuellement, était fabriqué. Depuis, j'ai comblé mes lacunes (de vin, bien sûr!). Et cela n'a pas été sans mal...

Pendant les premiers temps de ma vie portugaise, j'ai superbement ignoré les vendanges, car je vivais à Lisbonne. Je me savais moi-même propriétaire d'une vigne, mais quelqu'un s'en occupait à ma place. Et puis, la première année de mon installation dans le Ribatejo, j'ai eu droit moi aussi aux fameuses vendanges! Mes oncles - qui vivent à Lisbonne - ont hérité des nombreuses et vastes vignes de mon grand-père paternel. Depuis, presque tous leurs week-ends sont consacrés à ces fameuses vignes. Normalement, les vendanges sont effectuées dès le début du mois de septembre. Et la première fois que l'on m'a invitée à vendanger, j'ai accepté, ravie, imaginant des pique-nique de fous sous les oliviers, des parties de rigolade et un passe-temps bucolique et amusant. Comme j'étais loin d'imaginer ce que représentent 10 jours de vendanges non-stop! Et aucune paire de bras n'est à négliger. Depuis, j'ai compris pourquoi les petits copains de mes cousines s'inventent des emplois du temps surchargés au bureau à l'approche de septembre...!

Une journée de vendanges dans le Ribatejo commence tôt. Très tôt. Car le soleil tape à plus de 30ºC vers 10h30. Chacun prend son seau et son sécateur avec soi et RDV à la vigne du jour, fagoté à la va-comme-je-te-pousse (le raisin, ça tache énormément) et un bob ridicule vissé sur la tête. Donc, célibataires qui espériez rencontrer l'âme soeur pendant les vendanges, laissez tomber! Arrivé sur les lieux du sacrifice, on s'organise par rangées de pieds de vignes, un de chaque côté du plant. Dans ces cas-là, mieux vaut tomber sur le cousin qui raconte des bonnes blagues de cul que sur la grand-tante bigote, parce que la matinée va être longue, si longue...! Et là, on plonge dans le feuillage, genre jungle épaisse. Et on coupe soigneusement les grappes. Toutes les grappes, même les minuscules. Puis on les jette dans le seau. Au bout de 15 minutes de ce divertissement, nos visages, mains, cheveux et vêtements deviennent noirs et gluants, tout imbibés du sucre du raisin. Et là, guêpes, mouches et abeilles viennent jouer avec nous! Lorsque le seau est plein, on va le vider dans un gros container, qui sera transporté par le costaud du jour sur le pick-up ou la remorque du tracteur. Pendant ce temps, le soleil tape et vous suez abondamment. Ça fait de jolies coulures sur le noir du visage... Et puis quelqu'un lache, à 13h00, la plus jolie phrase du jour, alors qu'on a bien cru s'évanouir sous le soleil de midi : "Le déjeuner est prêt!" Là, ça vaut le coup, puisque c'est ma marraine Fernanda, un vrai cordon-bleu, qui s'y est collée, échappant ainsi au sécateur. Lorsque l'on boît le vin des années antérieures en accompagnement du repas de la tante Fernanda, après s'être sommairement dégrossi du sucre poisseux des fruits au robinet, on en oublierait presque l'horreur de la matinée... Mais sitôt le café bu, c'est reparti! Jusqu'à ce qu'il fasse nuit. Et le soir, il faut presser le raisin, qui ne peut attendre. Souvent jusqu'à 2h00 du matin. En gros, ça dure longtemps et c'est éreintant! Et le lendemain, ça recommence. Plus les jours passent et plus l'on part vouté et claqué aux vignes. Et le drame dans tout ça, c'est que l'on ne pourra pas goûter le résultat avant début décembre!

Cette année, j'étais en vacances aux Açores pendant les vendanges familiales. Et si j'ai écrit ce billet, c'est parce que... les vendanges m'ont manquées! Car les vendanges, c'est aussi:

1. L'occasion de voir toute la famille réunie.
2. Manger la bonne cuisine des tantines.
3. Arborer un bob Ricard et un T-shirt du parti politique pour lequel on vote sans que personne ne fasse de réflexions. Eh, eh... Ils se disent que vous mettez ça parce que c'est tout juste bon pour la poubelle, alors qu'en réalité, vous passez des messages subliminaux...
4. Apprendre des tas de trucs délires sur la vie sexuelle des arrière-grands-parents. Instructif et souvent surprenant.
5. Enrichir son répertoire de blagues.
6. Le bon moment pour balancer des vannes à la grand-tante bigote.
7. Se délecter un peu plus tard du nectar produit par tonton Abel.

Le bilan est plutôt positif, non?

16 commentaires:

  1. Plutôt positif mais oh combien éreintant ! Je n'imaginais pas de si longues journées ! Bravo pour avoir eu le courage de le faire même si cette année tu étais aux Açores. Et je suppose que tu le referas une prochaine fois.

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  2. Bien sûr, Choupette! Dès l'année prochaine.

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  3. Les vendanges, je connais. Rien que d'y penser, j'ai encore mal au dos !

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  4. J'ai fait les vendanges dans les Pyrénnées Orientales :mal ua dos ,doigts coupés ,coup de soleil ,mais quel plaisir de se retrouver tous pour le repas dans les vignes.Barbecue avec des sarments de vigne ,côtelette d'agneau ,boudin ,saucisses et le petit Rivesalte qui coulait dans la gorge ,très très bon souvenir.Merci .

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  5. Bravo pour ce billet sympathique et plein de tendresse!

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  6. Merci Elvira pour ce magnifique billet.
    J'ai fait plusieurs années de suite les vendanges dans le Muscadet. J'ai adoré l'ambiance, les blagues, le travail dur, le mal de dos, la solidarité, les repas pris en commun, les soirées passées à la cave, les lendemains difficiles, goûter au 1er moût, faire des concours de vêtements les plus ringards pour aller vendanger, avoir chaud, avoir froid, être dans la brume au petit matin, se faire des blagues entre vendangeurs, entendre "stop la journée est finie", s'écrouler comme une masse.
    Que de bons et excellents souvenirs. C'était un super job d'étudiant avec un patron génial, deus fils hyper sympas, une équipe du tonnerre et un muscadet le meilleur au monde.

    Et toi qu'et ce que vous en faite de tout votre vin ? Comment s'appelle t-il ?

    Encore merci Elvira pour ces bons souvenirs.

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  7. Super billet ! je me faisais les mêmes idées que toi à propos des vendanges, mais sur la ceuillette des olives. Le bilan est quasi le même sauf que c'était pas dans ma famille alors je me suis pas permis de lancer de vannes (pas au début, du moins) !

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  8. Magnifique billet Elvira, j'adore les blagues de cul du cousin et les tee-shirts subliminaux. J'ai fait les foins avec ma famille au Pays Basque, moins poisseux mais crevant aussi sous le soleil du sud-ouest, avec les bons repas de la tante Madeleine au bout de la journee. Un de mes plus beaux souvenirs.

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  9. Encore un magnifique récit, Elvira. Et la consolation que les vendanges se passent au Portugal comme elles se passaient dans le Tyrol de Sud de mon enfance. Avec peut-être cette différence: les vignes se trouvaient sur des terrains très accidentés et les grappes pendaient au dessus de nos têtes (comme dans certaines régions de Galice).

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  10. Mijo: le vin produit par ma famille est vendu à des particuliers et à des cafés, généralement sur Lisbonne et les environs. Bien sûr, on en garde aussi pour nous! C'est du vin de l'Estremadure (en effet, nous sommes à cheval sur le Ribatejo et l'Estremadure, au niveau du vignoble).

    Miguel: à Trás-os-Montes et le Minho, les vignes sont aussi escarpées et les raisons également en hauteur.

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  11. Magnifique billet. Effectivement cela a l'air plutôt épuisant.

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  12. Superbe Elvira, j'ai fait les vendanges à 18ans, 10jours dans le Beaujolais. J'en garde d'excellents souvenirs, je me rappelle des mal de dos terribles, des ampoules, des coupures, de la chaleur, transpiration et cie mais comme c'était chaleureux!

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  13. Magnifique récit Elvira.

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  14. Très beau texte!
    Je me souviens gamin d'aller regarder les vendenges à Chamusca.
    Plus tard, vers la StMartinho si ma mémoire est bonne, j'avais le droit de boire un verre de Agua-pé.
    Cela existe encore ?

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  15. Oui, Guess Who, la tradition existe encore. Et avec l'água-pé, on mange des marrons rôtis.

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