20 septembre 2005

Açores : les îles de brume


(Angra do Heroísmo, capitale de Terceira)

Quasiment personne - sauf les Portugais et les navigateurs qui s'y arrêtent à mi-course en route pour l'Amérique - ne connaît les Açores autrement que par une vague notion de phénomène climatique. Pourtant, réunies, les neuf îles qui composent cet archipel portugais représentent, en taille et en population, l'équivalent de la région de l'Algarve. Leur isolement, en plein milieu de l'Atlantique, bien loin des côtes européennes et américaines, a évité que cet endroit merveilleux ne devienne l'équivalent portugais des Canaries ou des Baléares. La nature y est restée intacte et c'est l'un des rares endroits que je connaisse où l'homme l'a embellie au lieu de l'âbimer. Des essences exotiques venues d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique du Sud y côtoient des espèces endémiques et souvent uniques au monde; de hautes et fleuries haies d'hortensias ou des pierres de lave séparent les champs; lys et fleurs tropicales parsèment les pâturages...

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(Serra de Santa Bárbara)

Découvertes aux alentours de 1430 par les navigateurs portugais, les îles des Açores, alors totalement vierges, doivent leur nom au grand nombre d'aigles qui les survolaient à l'époque (açor étant le nom portugais d'une espèce de grands rapaces). Très vite, des colons venus de toutes les régions du Portugal, mais aussi de Belgique, de Hollande et de France, sont venus s'y installer pour en exploiter les richesses naturelles. Les Açores bénéficient de terres naturellement très fertiles, en raison de la forte activité volcanique et du climat semi-tropical - tiède, humide, jamais froid - qui y règne toute l'année. Les Portugais se sont d'ailleurs servi de l'archipel comme d'une sorte de serre d'acclimatation pour les espèces ramenées d'autres contrées. Bananes, ananas, tabac, thé, café, patates douces, et autres plantes, fruits et légumes de toutes les espèces y poussent avec générosité. Les ananas de l'île de São Miguel, très difficiles à se procurer même au Portugal Continental, ont même la réputation (justifiée!) d'être les meilleurs au monde.

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(Farol)

L'activité volcanique et l'humidité constante font que l'archipel abonde en pâturages verts toute l'année. Baignés par les embruns atlantiques, les Açores sont également favorables à l'élevage de bovins (on les croise partout sur les routes!), qui fournissent une viande et des laitages d'une qualité exceptionnelle. Pas un seul cas de vache folle aux Açores. Et Bruxelles taxe rarement les excédents laitiers açoréens en raison de la grande qualité du lait. Je vous laisse imaginer comment on se régale de beurre salé et de fromages sous ces latitudes enchanteresses... Et évidemment, pour ajouter à la perfection de l'endroit, la mer déborde de poissons et de fruits de mer, tous meilleurs les uns que les autres! En raison de cette abondance d'excellents produits et des origines variées des habitants de ces îles, la cuisine y est forcément très diversifiée, même si sa plus grande inspiration reste la gastronomie traditionnelle portugaise, avec plus de beurre et de crème, peut-être... Si les Açoréens accommodent très bien viandes, charcuteries, poissons, crustacés, etc., ce qu'ils préfèrent par dessus tout, ce sont les patelles et les bernicles, consommées crues, cuites dans un peu d'eau de mer ou grillées. Ces coquillages peu courants ailleurs font partie de toutes les fêtes, notamment sur l'île Terceira, où j'ai passé ces dernières vacances.

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(Madame Conceição et ses patelles)

Même à 2000 km du Continente (c'est ainsi que les Açoréens appellent le Portugal continental. Ne vous avisez pas de commencer une phrase par "Les Portugais...", auquel cas on vous répondra aussitôt: "Hein? Moi aussi, je suis portugais. Tu veux dire, les gens du Continent...?"), je me suis sentie à la maison. De par son architecture, sa culture et ses traditions, c'est l'île la plus ribatejane de toutes. Comme dans ma région, on y célèbre le Saint-Esprit au travers de festivités très païennes remontant aux Romains. Sur toute l'île, l'on trouve des sortes de petites chapelles très colorées, les Impérios (plus de 120), qui ne sont absolument pas gérées par l'Eglise, mais par une Comission des Fêtes. À l'intérieur de chaque Império est gardée une lourde couronne d'argent surmontée d'une colombe symbolisant le Saint-Esprit. Cette couronne n'est sortie qu'une fois l'an, à l'occasion de la fête du village ou du quartier, puis elle est portée chez les habitants, avec du pain sucré (voir recette) vendu pour financer la fête et les courses de taureaux. La fête compte toujours plusieurs corridas à la corde, où les propriétaires de bétail viennent fièrement montrer leurs plus belles bêtes. J'en entends déjà hurler quelques-uns! Attendez! Je vais vous expliquer comment se passent ces corridas, absolument pas sanguignolantes et sans mises à mort. Les bouts des cornes des taureaux sont légèrement sciées. On y enchasse des embouts de cuivre pour protéger les participants. Puis une longue corde, maintenue par quatre hommes au moins, est passée par les cornes de l'animal. Le taureau est alors lâché dans les rues et les jeunes garçons font quelques passes, armés seulement d'une cape colorée ou d'un parapluie ouvert, pour charmer les filles qui s'empressent partout dans la rue et aux balcons. Le taureau ne court jamais plus de 15 minutes et il est formellement interdit de le piquer ou de lui lancer des choses qui pourraient le blesser. Quand sa course est finie, un vétérinaire l'examine pour voir s'il n'est pas blessé. Le propriétaire du taureau n'aura plus le droit de faire courir sa bête avant au moins 15 jours. Ces corridas sans aucune cruauté attirent beaucoup de monde et ne servent que de prétexte à faire la fête. Partout, des petites tascas ambulantes proposent bifanas, fruits de mer, etc. Tout ça est bien sûr très arrosé. Les habitants de Terceira sont d'ailleurs réputés pour leur grande capacité à faire la fête pendant plus de six mois par an, notamment à l'occasion de la Saint-Jean.

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(Corrida de rue à São Bartolomeu)

Il est également passionnant de voir comment on fait du vin aux Açores, et notamment sur l'île de Pico. Pour les vignes, en revanche, l'air salé et humide ne convient pas. Alors chaque pied de vigne est soigneusement entouré d'un muret en pierres volcaniques qui sert de rempart contre la brise marine. C'est un immense travail que de cultiver des vignes, aux Açores, mais c'est presque encore meilleur de le déguster après: verdelho, vinho de cheiro, angelica, terras da lava, etc... Du plus sec au plus sucré, ils me transportent (vapeurs éthyliques...?). Des producteurs français s'intéressent d'ailleurs de très près aux vignes de l'île Graciosa et celles de Pico, sur les flancs d'un volcan qui est également la plus haute montagne du Portugal, sont en lice pour rejoindre le Patrimoine de l'Humanité de l'UNESCO. Je ne manquerai pas, au fil des jours, de vous présenter quelques recettes et produits ramenés de là-bas.

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(Crabes & bernicles)

On peut aller aux Açores pour se délecter de bons produits, mais ce serait dommage de n'y aller que pour cela. Les paysages sont de toute beauté et très diversifées: profonds cratères devenus lacs, hautes montagnes, calanques, fleurs et dégradés de verts intenses, alpages, plages de sable noir et fin, hautes falaises, plantations d'arbres et fruits exotiques, geysers et sources chaudes (les habitants de São Miguel se servent d'ailleurs des geysers pour cuire une sorte de pot-au-feu) . On se croirait un coup en Islande, tantôt en Bretagne, parfois en Suisse, quelquefois en Guadeloupe ou en Méditerranée... Les amateurs de vieilles et belles pierres sauront apprécier les églises du XVe siècle, la beauté d'Angra do Heroísmo - ville classée Patrimoine de l'Humanité - dont le fond de la baie paradisiaque regorge de riches bâteaux échoués au fil des siècles.

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(Império do Espírito Santo)

On peut y pratiquer de très nombreuses activités, comme l'observation des baleines et autres cétacés qui abondent dans les environs ou rentrer à l'intérieur d'un volcan (personnellement, je suis allée me promener dans trois d'entre eux et c'est très impressionnant) et s'ébahir devant des énormes coulures récentes de lave. En effet, l'archipel est perpétuellement en activité volcanique sous-marine. Quelques îles comptent également des volcans "terriens" en activité, et les habitants et pompiers de Pico et de Terceira (à Serreta) sont en alerte permanente quand le ciel se met à rougeoyer au-dessus d'un cratère. Pour les mêmes raisons, les eaux de l'Atlantique ne sont jamais froides autour des îles. On peut donc s'y adonner très agréablement à la natation et à la plongée. Et bien sûr, il y a la voile, les sports nautiques, la pêche, la randonnée, l'équitation, etc...

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(Geysers, Furnas do Enxôfre)

Et bien sûr, j'ai gardé le meilleur pour la fin: les Açoréens. Je ne connais aucun autre peuple au monde - et croyez-moi, j'ai voyagé! - plus accueillant, plus souriant, etc. Croisez le regard de quelqu'un et il vous sourira spontanément. Les gens se parlent très naturellement sans se connaître, dans les rues, les cafés... Il existe un vrai sentiment de solidarité et d'ouverture sur les autres. On se fait inviter à dîner dans les familles tout naturellement. Partout, le week-end, les très belles aires de pique-nique disséminées sur les îles, sont pleines de gens qui mangent, boivent, s'amusent, en s'échangeant de la nourriture d'une table à l'autre. Il y a quatre ans, João et moi avons fait la connaissance d'une famille formidable de Terceira, au hasard d'un verre au comptoir de la délicieuse taverne de Monsieur Joaquim. Et aujourd'hui, ils sont notre famille des îles...

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(Spectarices d'une corrida de rue, São Bento)

Oui. Quand on parle des Açores, on pourrait commencer comme dans un conte pour enfants: «Il était une fois neuf îles vertes et fleuries, au milieu de l'océan, où tous les gens étaient gentils et aimaient la nature...»

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(Notre ami José Adelino au pique-nique de Monte Brasil)

Beautiful Azores, un beau site très complet et joliment illustré sur les Açores (multilingue, dont français).

15 commentaires:

  1. Olá, Elvira, après cette lecture, j'ai une envie folle de visiter les Açores Je m'y vois déjà installé. "Croisez le regard de quelqu'un et il vous sourira spontanément. Les gens se parlent très naturellement sans se connaître, dans les rues, les cafés... Il existe un vrai sentiment de solidarité et d'ouverture sur les autres. On se fait inviter à dîner dans les familles tout naturellement." Où ailleurs, on trouve cela au Portugal ? Je ne connais aucun endroit .....
    Last but not least: une fois de plus l'association de ta passion et de ton talent sont à l'origine d'un récit merveilleux. Merci.

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  2. Voilà un joli voyage,il fait bon on sent la bonté des gens ,mon beau frère est allé aussi cette année au Portugal ,il était enchanté.......

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  3. On voit bien que tu vis dans le sud du Portugal, Miguel, où l'on rencontre les Portugais les plus antipathiques (j'ai testé pour vous...)! Peut-être pas au point des Açoréens, mais les gens du Nord du Portugal (Trás-os-Montes, Minho, Douro...) et même les Ribatejans, sont très accueillants et sympathiques.

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  4. très interressant ton billet...voyage ,voyage...quel plaisir !

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  5. Quel beau récit, et quelle passion ! J'ai vraiment envie d'aller y faire un tour et de manger du pain sucré, et tous ces merveilleux plats dont tu parles...L'année prochaine peut être ?

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  6. Dommage que le billet d'avion soit cher mais ce n'est peut-être pas plus mal pour préserver les Açores d'un trop plein de touristes.

    POurtant Elvira ton billet nous donne vraiment envie d'y aller.

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  7. Merci pour ce superbe récit qui décrit si bien les Açores !

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  8. C'est magnifique Elvira, et si bien ecrit. Fais attention, tu vas attirer les touristes dans ton paradis.

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  9. jE VOYAGE AU TRAVERS DES RECITS DES BLOGGERS ET JE TROUVE QUE C'EST PASSIONNANT. MERCI POUR TON PARTAGE

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  10. Très beau reportage ! Ca donne envie d'y aller !

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  11. ahhh, si je pouvais sauter dans un avion, juste comme ça, ou encore mieux, remuer le nez comme Samantha et d'un coup de claquement de doigt, zou, ou alors une petite téléportation....

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  12. Quelle superbe description! Pour donner envie, ça donne envie! Et surtout, on sent que tu les aimes tes Açores.

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  13. Magnifique ce reportage et les photos de Beautiful Azores vont rêver.
    Il existe donc encore des pays qui ont pu ou su grader leur authenticité et où le tourisme n'a pas imposé sa loi.
    On dirait un paradis terrestre; peu de voitures, les gens semblent prendre le temps de vivre, les paysages et l'architecture sont splendides,les falaises, la mer, les vins et la gastronomie... et en plus c'est abordable

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  14. Coucou c'était encore moi, l'anonyme de Bordeaux

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  15. Ah ! je crois que cette fois-çi, je vais me décider à partir...

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